Le Cartulaire blanc, présentation > problèmes de date et de fabrication

Le Cartulaire blanc de l’abbaye de Saint-Denis nous est parvenu dans son état original, en deux épais volumes, de grand format, de belle facture et d’excellente conservation (Paris, Archives nationales, LL 1157-1158). Sa réalisation s’est étirée des années 1250 au début des années 1300, où sont consignées les dernières additions, si l’on excepte les ultimes et rarissimes ajouts des années 1320.

La brève mise au point ici présentée sera justifiée et développée dans O. Guyotjeannin, « La fabrication du Cartulaire blanc », à paraître dans Écrire pour Saint-Denis : l’hagiographie et la diplomatique dionysiennes au Moyen Âge, colloque international organisé par l’université Paris 8 et l’École nationale des chartes, éd. Anne-Marie Helvétius et O. Guyotjeannin (Bibliothèque de l’École des chartes, 2016).

Au premier regard, le Cartulaire blanc montre une homogénéité presque sans défaut. Organisation de la matière par « titres » (tituli) et numéros d’actes, repères visuels jouant sur la couleur, les titres courants et les rubriques, ajout d’une table initiale (t. I, p. I-XXXIIII) en 1277-1278 (d’après les dates des actes les plus récents qui y sont mentionnés), relayée une dizaine d’années plus tard par un outil beaucoup plus original, l’Ancien inventaire noir : autant de traits qui reprennent et perfectionnent des pratiques courantes dans la conception des cartulaires de grandes et moins grandes maisons religieuses, tout en s’enracinant dans les pratiques contemporaines des ateliers parisiens (Bible de « Saint Louis », Grand pastoral du chapitre cathédral).

De-ci de-là pourtant, de menues discordances, voire la stratigraphie tourmentée de tel chapitre (introduction du chapitre Rueil) viennent démentir les premières impressions, et mettre en lumière des changements de main plutôt discrets (LL 1157, p. 510 ; voir ci-contre). Cartulaire blanc, tome 1 (LL1157), page 510, bas de la page : derrière une forte apparence d’homogénéité, l’analyse paléographique montre, dans le premier noyau, la succession de deux mains, qu’oppose nettement la forme du –s final, long ou rond.Les analyses, encore grossières, permettent de proposer une chronologie de la lente genèse de la compilation, brutalement arrêtée en 1300. On en donnera ici les lignes directrices.

Une première main (main A par convention) transcrit un premier état du manuscrit, jette les bases d’un plan qui au prix de quelques retouches de détail sera conservé par ses successeurs, mais livre un manuscrit à l’état brut : pas de table, pas de titre courant (remplacés par des chiffres romains, répétés sur toutes les pages impaires), peut-être pas de numéros d’actes, pas de pagination (celle-ci au juste ne sera portée qu’au XVIIe siècle). Quelques indices sont précieux pour suivre son travail : en fin de mot, il use de « s » longs, et dispose la quasi-totalité des actes transcrits dans un ordre chronologique strict. Sous réserve de quelques erreurs, il assure la transcription de quelque 1414 actes sur un total de 2616 (environ 54% du matériau). Les actes les plus récents qu’il livre sont des années 1244-1246, exceptionnellement 1248. Il est donc possible que la réalisation du Cartulaire blanc ai été lancée autour de 1250 ; et plus vraisemblable, encore, que la deuxième étape, aboutissant à un produit fini, n’ait été lancée que vers 1270.

Une deuxième main (main B), en effet, reconnaissable à ses « s » finaux longs, à son écriture plus ronde, mais aussi à l’emploi fréquent des deux points devant un nom de personne ou de fonctions, prend la suite, la plupart du temps en contact direct avec les copies de son prédécesseur. Le nouveau compilateur ne fait pas que copier des actes récents, il livre aussi par fournées, dans un ordre aléatoire, des actes antérieurs, parfois très anciens mais non encore pris en compte. Il travaille durant les années 1270, et clôt la compilation, maintenant pourvue de toutes ses commodités de consultation, par la réalisation de la table initiale déjà mentionnée. Un premier tri du matériau permet de lui attribuer quelques aménagements de détail et la transcription de 617 actes (24% du total).

Un nouveau compilateur (main C, aux traits gothiques affirmés, avec des fractionnements marqués) intervient aux années 1280. Ses additions ont le même profil que celles de son prédécesseur, même si les actes anciens se font moins nombreux. La même main, simplement relâchée, transcrit l’Ancien inventaire noir (vers 1287-1289), un résumé du Cartulaire dans lequel les masses en jeu, le désordre chronologique et la dissociation des actes apparentés doivent commencer à poser de sérieux problèmes de consultation. Ce troisième compilateur, avec quelque 372 actes (14% du total), ouvre, en particulier, deux chapitres consacrés aux lettres et privilèges pontificaux.

La dernière décennie d’additions, aux années 1290, celles où Guillaume de Nangis apparaît dans les comptes de l’abbaye comme supervisant la copie et la conservation des chartes. On y voit dominer une quatrième main (D), peut-être flanquée d’aides, qui compile désormais le courant des actes reçus au chartrier.

Le manuscrit est soigné (LL 1157, p. 465), mais il y reste nombre de modestes témoins de sa mise au point matérielle : réclames en fin de cahier, indications marginales à l’attention du rubricateur, lui donnant des titres courants, des numéros d’actes ou le texte des regestes formant rubriques (LL 1157, p. 522 ; LL 1157, p. 467…).

D’un chapitre à l’autre, les marques de lecture sont très inégalement développées ; elles sont globalement plus nombreuses pour les XVIe et XVIIe siècles – période de fait où l’on porte la pagination encore en usage aujourd’hui. Le cas le plus intéressant est pourtant constitué par la table initiale, qui reçoit à la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle des annotations sur la répartition du matériau entre layettes (scrinia), faisant de cette table un outil de recherche archivistique, selon une tendance concordante dans les cartulaires de l’époque (voir ci-dessous).Cartulaire blanc, tome 1 (LL1157), page XII, haut de la page : voir l’image entière

Les transcriptions du Cartulaire blanc sont en général soignées ; que la collation avec les originaux fasse apparaître nettement plus de variantes pour les actes rédigés en ancien français tient davantage à l’état de la langue, et au caractère fortement normalisé du latin des XIIe-XIIIe siècles. À l’occasion, toutefois, un examen attentif révèle, ici des bourdes étonnantes (p. ex. le monogramme d’un roi dessiné pour celui d’un autre, pour l’acte Lendit 5), là un abrègement incompréhensible (p. ex. l’omission de la date pour l’acte Tremblay 1, un précepte de Louis le Pieux).

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