L’Inventaire général : présentation > circonstances et visées de la compilation

L’Inventaire général n’est jamais que le dernier d’une série de travaux de récolement et d’inventoriage qui se sont accélérés au XVIIe siècle et qui, sans atteindre la même ampleur ni le même souci d’érudition, attirent l’attention mais restent à étudier (1619 par Jacques Coignée, 1647 par Jean Le Poix, 1681 par Locquet).

Le dernier quart du XVIIe siècle fut, pour l’abbaye, le temps de grands changements, dont l’importance justifiait aisément, à elle seule, la confection d’un inventaire détaillé de l’ensemble du chartrier, sur un pied que n’avait connu aucune des entreprises précédentes, même récentes, et toutes d’ailleurs organisées dans l’ordre de coffres et de layettes qui pouvaient sembler intangibles. C’est d’abord le partage des biens de l’abbaye entre l’abbé (alors le cardinal de Retz) et les moines, sanctionné le 5 avril 1672 et ratifié les 9-11 février 1673. C’est ensuite, et surtout, l’affectation de la mense abbatiale à la fondation et à l’entretien de la Maison royale Saint-Louis de Saint-Cyr, instituée à l’instigation de Mme de Maintenon, avec pour conséquence la suppression de la charge et du titre d’abbé, projet lancé en 1686, finalement sanctionné par le pape le 23 février 1691.

Ce rapprochement entre les bouleversements du patrimoine et la compilation d’un inventaire monumental – hypothèse que nous n’avons pu étayer d’aucun document précis – est encore renforcé par la constatation de l’intense activité de copies de chartes, de cartulaires et d’inventaires qui se manifeste alors (car la grande majorité des originaux médiévaux demeura à Saint-Denis), et dont témoigne encore, malgré de possibles pertes, l’actuel fonds de la maison Saint-Louis à Saint-Cyr, recueilli par les Archives départementales des Yvelines (en particulier D 504-508, copie des cinq premiers volumes de l’Inventaire général ; D 509, Table des précédents ; D 518, copie du t. II du Cartulaire blanc…).

Mais l’Inventaire général n’est pas qu’un instrument pratique ; il est aussi conçu dans les années où Mabillon, d’ailleurs abondamment cité, a mis en lumière et exploité les documents les plus anciens du chartrier ; et il est outil d’histoire autant que de gestion, une constatation qui se marque à sa disposition chronologique, comme à l’absence – très fâcheuse pour nous – de toute mention d’ordre archivistique, comme encore à l’intérêt – très heureux pour nous – porté aux sources autres que les originaux. Plus exactement : informé des plus récentes conquêtes de l’érudition monastique, mais gardant de l’esprit des anciens cartulaires, il donne à voir un déploiement de droits, une cohorte d’actes disposés pour un accès commode et immédiat. C’est, de fait, en praticien saisi par l’Histoire que Dom Thomas présente en introduction (LL 1189, fol. I) l’évolution de sa conception de l’instrument :

« L’obéissance m’ayant engagé à travailler à l’inventaire des chartes de l’illustre abbaye de Saint-Denis, j’avois d’abord divisé cet ouvrage en autant de chapitres que cet auguste monastère possède ou a possédé de différents droits, privilèges et revenus depuis sa fondation, sans m’arrester à l’ordre chronologique ny à la suitte des tems. Mais la lecture de nos anciennes chartes m’ayant ouvert les yeux sur plusieurs points de l’histoire que j’ay trouvez opposez à ce qu’en ont escrit divers auteurs, et la découverte qu’on y peut faire de beaucoup d’autres connoissances touchant la généalogie, le règne et les plus mémorables actions de nos roys, reynes, princes et princesses du sang royal, évêques, prélats, abbez et autres personnes de qualité, m’ont obligé de quitter la méthode que je m’estois proposée, pour réduire cet abbrégé en ordre chronologique, afin de le rendre utile non seulement à ceux qui auront l’administration des affaires, mais aussy à ceux qui voudront s’appliquer à l’histoire soit de ce monastère en particulier soit du royaume en général, lesquels pourront puiser dans ces archives originales comme dans une source très pure la vérité de l’antiquité qui s’est si fort altérée en passant depuis tant de siècles par différens canaux, qui en ont corrompu la pureté par le meslange de la fable et du mensonge. »

Ainsi venait se fondre dans l’Histoire la série de travaux sur sources illustrée avec éclat dès le XIIIe siècle par des moines historiens qui concevaient déjà que l’histoire du royaume s’incarnait dans l’histoire de leur maison et de ses plus menues affaires.

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