L’abbaye de Saint-Denis, à l’origine de l’actuelle agglomération (Seine-Saint-Denis, ch.-l. arr.), trouve son origine dans la sépulture du martyr et premier évêque supposé de Paris, Denis, que la tradition tendit rapidement à confondre avec le disciple de saint Paul, Denis l’Aréopagite, premier évêque d’Athènes et lui-même présenté comme auteur d’une série d’écrits théologiques, pour la première fois traduits du grec en latin au début du IXe siècle.
Fondée sur ce lieu par sainte Geneviève vers 475, une basilique prospéra avec la faveur des rois mérovingiens dominant Paris, qui en firent l’un de leurs lieux de sépulture. Au milieu du VIIe siècle, les desservants furent « régularisés », le statut monastique se voyant un moment remis en question au début du IXe siècle (scission entre moines et chanoines), pour être finalement acquis jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. En même temps que saint Denis devenait le « patron particulier » des rois et du royaume, et que les abbés nouaient des liens étroits avec les dynasties carolingienne et capétienne (comme auparavant, par habileté et par chance, avec les ancêtres pippinides puis robertiens qui leur préparaient la voie), l’abbaye développait une relation privilégiée avec la royauté, l’histoire du royaume, les objets du sacre et l’oriflamme, les corps et la mémoire des rois défunts.
Conséquence directe de la faveur rencontrée, soutien d’une liturgie fastueuse, d’une politique monumentale grandiose et souvent à la pointe du goût, d’une thésaurisation intense, d’une vie conventuelle qui a dû voir coexister autour de cent à cent cinquante moines aux bonnes époques, le patrimoine, encore assez mal connu dans le détail, est sans doute moins exceptionnel par sa richesse propre et par le talent gestionnaire des moines que par la permanence assez rare de sa structure. En dépit de multiples remous, il livre encore, au XIIIe siècle, une image complexe où se lisent à la fois le statut de très grand propriétaire à Saint-Denis et aux alentours, dans une « France » du nord de Paris, et le maintien d’une structure haut-médiévale où la faveur des grands et des rois comme le souci de maintenir des zones variées d’approvisionnement expliquent l’existence d’une nébuleuse de possessions disposées en cercles concentriques, du Chartrain à la vallée de l’Aisne, de la Normandie à la Champagne, plus loin encore de l’Angleterre à l’Alsace, et du Limousin à la Hesbaye.
Nous espérons fournir progressivement des outils permettant de mieux percevoir le patrimoine de l’abbaye et son histoire ; une première approche, très imparfaite, est possible grâce aux cartes de localisation associées à la Table des chapitres du Cartulaire blanc.
De nombreux documents attestent le soin exceptionnel que les moines des époques médiévale et moderne ont consacré à leur chartrier. Celui-ci a été moins la victime de pertes et de vols que de démembrements, sans compter sa masse même, qui a découragé les entreprises individuelles de repérage et d’édition.
On sait encore peu de choses des réalités médiévales d’un chartrier dont l’unité est sûrement plus virtuelle qu’effective, même si l’on pressent, au travers des cartulaires et inventaires successifs, les efforts de centralisation autour des archives de l’abbé.
Le premier grand démembrement, aux effets limités, est antérieur à la Révolution : il remonte au règne de Louis XIV et à la création de la « Maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr ». Cet établissement se vit affecter les revenus de la mense abbatiale de Saint-Denis et, en conséquence, non seulement des copies d’actes, des extraits de cartulaires, des doubles d’inventaires d’archives, mais encore des lots d’originaux, tous documents qui plus tard gagnèrent les actuelles Archives départementales des Yvelines.
Pour le reste, remis en large partie aux Archives nationales après la fermeture de l’abbaye (quelques originaux passèrent aux Archives départementales de Paris, aux Archives municipales de Saint-Denis…), les fonds encore conservés au moment de la Révolution ont été victimes du démembrement qui a atteint l’ensemble des fonds ecclésiastiques nationalisés à Paris et dans le département de la Seine.
Certains, jugés spécialement précieux pour l’histoire, ont été éparpillés dans la série K ; il se peut aussi (on le vérifiera progressivement au fur et à mesure de l’avancement du travail) que d’autres, utiles à la gestion des biens et domaines nationaux, l’aient été dans la sous-série Q1. La plupart toutefois des actes ont été répartis entre les séries L et S, d’où une grande partie des plans gagna la série N. Contrairement aux intitulés des séries L et S, nos premières investigations montrent que la répartition des documents (originaux et copies anciennes) entre « Monuments ecclésiastiques » (L) et « Temporel » (S) est demeurée inachevée et a largement consisté dans l’extraction, au profit de la série L, des actes les plus séduisants par leur ancienneté, leur forme ou leur texte, après un écrémage plus sévère encore à destination des « Cartons des rois » (en tête de la série K) et du « Bullaire » (en tête de la série L). De ce fait, les dossiers de la série S, plus riches en actes à compter du XIIIe siècle au moins, ont souvent gardé la trace de leur organisation archivistique ancienne.
Notable par la masse de la documentation conservée, l’histoire archivistique de Saint-Denis est proprement exceptionnelle par la densité d’inventaires d’archives, au sens large, qui nous ont été conservés du Moyen Âge et de l’époque moderne. On n’évoquera ici que les principaux et les plus généraux d’entre eux, et seulement dans leurs grands traits, directement nécessaires à l’exploitation du Cartulaire blanc.
Première approche : O. Guyotjeannin, « La science des archives à Saint-Denis (fin du XIIIe-début du XVIe siècle) », dans Saint-Denis et la royauté : études offertes à Bernard Guenée, Paris, 1999 (Histoire ancienne et médiévale, 59), p. 339-353 ; « La tradition de l’ombre : les actes sous le regard des archivistes médiévaux (Saint-Denis, XIIe-XVe siècles) », dans Charters, cartularies and archives : the preservation and transmission of documents in the medieval West, proceedings of a colloquium of the Commission internationale de diplomatique (Princeton and New York, 16-18 september 1999), ed. by Adam J. Kosto and Anders Winroth, Toronto, 2002 (Papers in mediaeval studies, 17), p. 81-112.
Deux excellents instruments permettent de prolonger l’enquête historique.